Revue de presse

Dans la nuit
du 30 Avril au 1° Mai 1942
Extrait de journal  
Ils apposaient à la peinture sur les trottoirs de la rue du Soleil à St Etienne, les inscriptions : "LAVAL AU POTEAU"

Bandeau du journal L'espoir

UN DE BUCHENWALD
Vous parle...
Il y a un an mourait l'arbre de Gœthe...

"L'Espoir" est heureux de donner la parole à un véritable héros de la résistance : Notre camarade Henri Perrin.

"C.V." , comme nous l'appelions dans la clandestinité, fut un des premiers fondateurs des mouvements de Résistance de Saint-Etienne. Tout au début de ces années de malheur que nous devions vivre, il est allé trouver Nocher, qu'il ne connaissait pas, et lui a dit simplement : "Il faut faire quelque chose....." Et il a fait tout ce qu'il a pu : tout ce qu'on n'aurait pas cru humainement possible de faire...

Il participa, en 1941, à la création du Groupe Espoir et au journal clandestin "Espoir", il a alors 19 ans. Et bientôt, c'est sa première arrestation, celle qui devait marquer le début d'une suite ininterrompue d'emprisonnements qui alternaient avec une liberté incertaine reconquise seulement pour mieux combattre encore, car C.V. représente d'une manière parfaite le véritable Résistant qui aurait pu dire :"Vous pouvez toujours nous enfermer, vous pouvez bien nous conduire à la torture, vous pouvez bien nous avilir, vous savez bien que vous n'éteindrez jamais en nous cette espérence et cette foi que nous avons en notre idéal de liberté et d'indépendance." Et chaque fois qu'il sortait de prison, C.V. reprenait la lutte avec toujours plus d'ardeur. Il a connu les prisons françaises de Saint-Etienne et Clermond-Ferrand. Il a connu les camps de concentration français de Mauzac, de Bergerac, de St-Paul d'Eyjeaux. Il a connu la résidence forcée et puis un jour, il a connu Montluc, Compiègne et la déportation en Allemagne. Il a parcouru le long calvaire qui devait l'éloigner définitivement de la lutte clandestine pour le conduire aux terribles camps de la mort d'Auschwitz et de Buchenwald..

Et, hier, le miracle s'est produit. C.V. est revenu parmis nous, avec le sourire confiant qui est comme la perfection du courage et qui illuminait jusqu'a sa tenue de bagnard.

Nous lui avons demandé de vous décrire ses souffrances et de vous donner ses impressions. C'est avec quelque peine que nous sommes arrivés à lui arracher, mot par mot, son histoire. L'histoire de tous les déportés politiques, car, comme tous ses camarades, il ne voulait rien dire, estimant que ce qu'ils avaient subi, ils l'avaient fait pour la cause de la Liberté et de la France, et que tout cela s'était estompé avec le dernier claquement de talons des bottes S.S. qui s'enfuyaient à l'approche des blindés américains.

Mais c'est à nous de ne pas oublier....

R.S.

Il est très difficile nous dit C.V. de vous donner nos impressions et de vous décrire toutes les souffrances par où nous avons passé, car nous ne pouvons plus juger comme vous. Nous sommes en quelque sorte habitués à toutes ces horreurs et la vie d'esclave que nous avons subie nous a marqués profondement. Je me rends compte que si ce que nous avons vu là-bas s'était passé dans les prisons Françaises, nous aurions été terrorisés et scandalisés. Eh bien pourtant, à Buchenwald, aucun de mes camarades ne trouvait anormal de s'assoir à coté d'un cadavre pour manger sa soupe.

Dès le départ de Compiègne, les S.S. nous avaient montré que nous n'étions pour eux que du vil bétail bon à être exterminé. Pour partir, ils nous ont enfermé au nombre de cent par wagon de marchandise, et nous sommes restés quatre jours sans air et surtout sans eau. Les camarades perdaient fréquemment connaissance. L'un d'entre eux, étant sur le point de mourrir, on supplie le S.S. qui était de garde de bien vouloir ouvrir la porte afin de lui donner un peu d'air. Le S.S. nous répond froidement, sans sourire : "Je veux bien l'ouvrir si vous voulez qu'on achève ce malade ! " A chaque convoi de prisonniers, il n'était pas rare de trouver, à l'arrivée, 200 morts sur 1500 déportés qui étaient au départ. Et il est parfaitement exact que , lorsqu'il s'agissait de juifs, les S.S. étendaient une couche de chlorure de chaux sur le plancher, de telle façon que la plupart de ces malheureux étaient asphyxiés pendant le voyage.

L'arrivée au camp n'était pas faite du tout pour nous faire bien augurer en l'avenir. Les S.S., avec un sadisme tout particulier, excellent dans l'art de faire alterner le douceur et la cruauté, de telle façon que les mahleureux déportés sont complètement désorientés et ne cherchent déjà plus à réagir. Je ne vous parlerai pas de la vie au camp. Il y a déjà eu de nombreux récits sur ces camps de la mort lente, et tout ce que l'on a dit est exact. Mais je voudrais surtout bien préciser une chose qui montrera aux Français qui dès maintenant, commencent à dire :"Il y a deux Allemagne : Il y a l'Allemagne Nazie et la bonne Allemagne", combien cette affirmation est fausse et ne repose sur rien. La vie matérielle du camp était assurée par les prisonniers eux-mêmes. Ces prisonniers responsables étaient, en général, des prisonniers politiques allemands qui se trouvaient au camp depuis une dizaine d'années. J'atteste ici que ces prisonniers politiques allemands étaient pour nous, Français, beaucoup plus durs et beaucoup plus cruels que n'importe quel S.S. Et l'un d'entre eux a fait à moi-même la reflexion suivante, au moment où j'étais chargé de nettoyer les fosses de décantation où aboutissaient les égouts du camp : " Vous autres, Français, vous êtes bon à manger de la m..."

L'arbre de Goethe après le bonbardement Mais oublions un peu tous ces souvenirs de malheur. Au camp, une légende circulait et c'est elle qui nous a permis d'espérer et de vivre. Cette légende disait que l'arbre qui se trouvait dans une certaine partie de Buchenwald était l'arbre auprès duquel Gœthe aimait à se recueillir; et depuis toujours, les Allemands étaient persuadés que l'année qui suivrait la mort de l'arbre marquerait la destruction de l'Allemagne. Cet arbre servait de potence, à Buchenwald, pour pendre de nombreux détenus. L'année derniere l'arbre est mort ...

Mais voyez-vous notre plus grande joie, semblable à la vôtre, c'est qu'en quelque sorte nous nous sommes presque libérés seuls :

Nous avions réussi à former un veritable Mouvement de Résistance entre les prisonniers politiques du camp. Nous étions groupés par sizaines, comme au bon temps de l'Armée Secrète. Des camarades avaient pu camoufler quelques armes qu'ils avaient prises à l'usine d'armement dans laquelle ils travaillaient.

L'orsqu'on à entendu le bruit de la bataille qui s'approchait, nous avons constitué nos Groupes Francs, pris nos armes et nous avons reussi à faire prisonniers 200 S.S. , que nous avons remis victorieusement entre les mains des Américains. De nos bourreaux nous en avions fait des prisonniers de guerre. Nous avons la joie d'avoir vaincu non seulement nos terribles ennemis, mais aussi nos instincts de haine et de vengeance farouche qui, normalement, nous animaient.

Et maintenant, il faut se remettre sérieusement au travail, car je crois que la France n'a pas encore retrouvé son équilibre et que le redressement nécessaire qui devait être fait ne s'est pas encore accompli. Il ne faudrait pas que les 51.000 morts de Buchenwald soient morts pour rien.

Cela, je crois que nous ne le permettrons jamais.

Henri PERRIN (C.V.)


Bandeau de SOIR express

AVRIL 45 - AVRIL 1949

COMMENT FUT LIBÉRÉ
LE CAMP DE BUCHENWALD

Souvenirs vécus par Henri PERRIN
déporté de la Résistance

Avril 45. Avril 49. Quatre ans ont passé depuis l'assaut décisif et victorieux des alliers contre l'Allemagne. Quatre ans depuis la libération des camps de concentration, cette organisation diabolique de l'esclavage humain.

Soir-Expresse a demandé à un rescapé de Buchenwald, M. Henri Perrin, un des pionniers de la Résistance dans la Loire, cinq fois arrêté, et finalement déporté en Allemagne , de raconter ce que furent les dernières heures vécues dans ce camp.

Il y aura quatre ans demain, le premier camp de concentration nazi était délivré, et, en même temps , le premier témoin de la barbarie teutonne se présentait intact, aux yeux des alliers. Les blindés américains en provenance de Erfurt et à destination de Weimar, continuaient leur sûre progression vers l'Est, traversant la forêt de Buchenwald. Les soldats, sur les chars ou sur les jeep, ne se rendaient pas encore compte qu'ils avaient délivré des prisonniers, des condamnés à mort. Quelques heures plus tôt, 18 000 hommes étaient là, qui osaient à peine espérer....
Par la suite , ce camp eut le triste privilège d'être baptisé "Camp de la mort". N'oublions pas d'ajouter, que loin de lui contester cet attribut peu flatteur, car tout ce qu'on a raconté sur la vie à Buchenwald est strictement vrai, sinon en dessous de la vérité, ce dernier camp etait considéré par les déportés, comme un des meilleurs du 3° Reich. (On devrait plutôt dire un des moins mauvais !)

Dimanche 1er Avril. C'est Pâques. Double raison d'être joyeux: : c'est la première grande fête de l'année, doublée de ce jour de blague où l'on se permet, selon nos vielles coutumes française, d'accrocher un petit poisson dans le dos de son prochain en racontant une histoire rocambolesque qu'on dément lorsque l'interlocuteur commence à y croire par un sonore : "Poisson d'avril ! "

Dimanche 1er avril 1945, à Buchenwald, dans la Thuringe. 40 000 hommes sont là et qui ne songent point à rire. Il sont sur la place d'appel. Pourquoi faire ? On n'en sait rien. On ne sait jamais dans ce pays, on n'est pas là pour ça d'abord, on est là pour travailler, et crever ! L'appel se prolonge. On est ici depuis plus de quatre heures, qu'attend-on? On ne sait pas. Peut être, le mercenaire qui est de garde dans le mirador devant une mitrailleuse attend-il l'ordre de tirer dans le tas ? Pourquoi pas ? On en a vu bien d'autres. Plus rien n'est fait pour nous étonner. Dans le lointain, le canon tonne : les Américains. Mais arriveront-ils assez tôt ? Qu'est-ce qu'ils attendent, eux aussi ? Cela fait huit jours que l'on entend gronder le canon. Dans la plaine que l'on surplombe, on voit çà et là monter dans le ciel une fumée : la guerre est en train de faire son œuvre. D'après les communiqués de la Wehrmacht que les S.S. nous diffusent, nous avons bien compris que les Américains marquent un temps d'arrêt. Mais cela va-t-il durer ? Les alliés se sont bien arrêtés déjà six mois sur le Rhin. Aurons nous assez de courage pour patienter ? Et combien de temps cela durera ? L'appel se prolonge. Quelle fantaisie nouvelle va s'emparer des S.S. ?

Tout à coup, quelques coups de feu partent, dans le camp, vers les barraques. Puis tout rentre dans l'ordre. Quelques minutes encore et ... rompez les rangs. Chacun rejoint son block.

Ce qui s'est passé ? Les S.S. cherchaient tout simplement deux juifs qui se cachaient dans le camp. Pendant que tous les autres détenus étaient sur la place d'appel, ils ont fouillé les blocks et ont trouvé leurs proies. Quelques coups de pistolet en ont eu raison... On n'a jamais badiné avec les juifs Mais en ce jour de Pâques 1944 il y avait encore moins de raisons pour un S.S. de badiner avec deux juifs qui refusaient d'aller d'eux-même au crématoire !

A quand notre tour ? Qui vivra verra quand il mourra : pourrait-on dire . Et les Américains ne sont qu'à quelques dizaines de kilomètres. C'est sûr qu'ils ne savent pas, sans quoi ils viendraient bien nous chercher. Ce que c'est long d'attendre quand l'échéance arrive. De quoi sera-t-elle faite ? On ne sait pas, mais pour sûr, l'échéance arrive. Et que va-t-on manger. Parfois l'électricité manque et on ne peut pomper l'eau pour faire la soupe. Quand l'eau vient, on s'apperçoit qu'on n'a plus de charbon pour faire chauffer. Heureusement que le camp possède un petit stock de pain moisi que l'on distribuera parcimonieusement.

Le jour passe. Toujours rien de nouveau. Le lendemain, le commandant du camp qui doit sans doute craindre des troubles parmis les détenus, reunit tous les Allemands internés et leur donne sa parole d'officier, que le camp ne sera pas évacué. Nous aurons d'ailleurs dans les jours qui suivent, l'occasion d'apprécier une fois de plus à sa juste valeur, la qualité d'une parole d'officier boche.

En effet, l'évacuation est la chose que l'on redoute entre toutes. Comment nos corps affaiblis pourraient-ils tenir, le long des routes, les pieds meurtris et blessés dans des galoches sans nom.
On sait l'intérêt que l'on attache à nos humbles personnes, surtout lors d'un repli militaire. On a déjà vu arriver les évacués d'Auschwitz.

Il furent transportés à cent par wagons tomberaux, à ciel ouvert, au mois de février, par une température de moins 20 degrés. Des wagons entiers de morts furent déchargés en gare. Il en résultat un tel encombrement du crématoire que l'on dut ensevelir les corps dans une fosse commune, vielle carrière abandonnée, immense trou de 100 mètres de diametre.

Une évacuation à pied ne nous présage rien de bon, même par ce mois d'avril printanier. Déjà en 40 , les prisonniers de guerre Français qui ne pouvaient suivre les convois etaient abattus...

Les jours qui vont suivre vont confirmer nos craintes. Block par block , les S.S. évacuent méthodiquement le camp et chaque jour voit son contigent partir. Des débrouillards arrivent à se faufiler et se réfugient parmi ceux de leur camarades qui ne sont pas encore appellés à être évacués: il vaut mieux tout risquer que l'évacuation.

Alors une dizaine de jours passent, mortellement longs, où le désespoir succède à l'espoir, où la crainte ajoute encore à l'immense angoisse du camp. L'alerte ne sonne même plus. Nous sommes en perpétuel état d'alerte. Les avions passent et repassent sans cesse. On attend. Viendront-ils ?

* * *

10 avril. Après ces dix jours épuisants où à chaque seconde, on ne pouvait présager ce que serait la seconde suivante, dix jours de cette guerre des nerfs que les Allemands pratiquaient avec un art raffiné, on nous annonce que nous devons partir.

17 heures. Nous voici en rang par cinq, en rang comme d'habitude. Nous sommes résignés et ne pensons même plus à rien. Le canon gronde toujours et les avions passent là-haut. La quintuple file de déportés attend devant le block l'ordre de départ.

17 h. 10 : contre-ordre . On ne part pas ce soir. Aucune joie ne s'empare de nous, car on n'ose même plus espérer. On ne croit plus à la délivrance, on ne croit plus à rien. Mais on va quand même se coucher en pensant : c'est toujours ça de gagné.

11 Avril. On se réveille comme tous les matins. Le soleil se lève là-bas à l'Est et, comme chaque jour c'est une féérie.
Si j'étais peintre ou poète, je retournerais à Buchenwald pour décrire les plus beaux levers de soleil que je n'ai jamais vu.


Soir Express n° 149 Lundi 11 avril 1949

La libération des camps

Souvenirs vécus par Henri Perrin, déporté de la résistance

Ironie du destin ou contradiction du sort. Ici tout est contradiction. Les hommes meurent abandonnés comme des bêtes, au son de valses viennoises, ou même de valses musettes qui ont vu le jour sur les bords de la Seine(1).

C’est dans ce pays où l’on exploite la haine que le plus grand poète de l’amour aimait à se recueillir (2)

Le soleil se lève comme chaque jour, radieux et jouant avec les nuages. On attend, c’est devenu un leit-motiv, une rengaine. Attendre, c’est notre raison sociale.

Le matin passe. Mais jamais les évacuations ne se font le matin. Vers midi, une sirène rugit. Nous ne l’avions entendue qu’une fois à titre d’essai. Elle annonce l’approche des panzerspiste (avance d’éléments blindés). Un ordre laconique est lancé deux fois successives par le haut-parleur : " Tous les S.S. en dehors du camp ". Ce seront les dernières paroles prononcées par un de ces criminels de guerre que j’aurais entendues.

Un chasseur américain pique sur le camp, vire de l’aile et nous survole à 20 mètres à peine. On distingue le pilote dans la carlingue. La joie de voir un homme libre, un allié, nous fait sortir des baraques malgré les ordres sévères. L’aviateur, de son appareil, doit voir des êtres aux costumes bizarres lui faire des signes amicaux.

Nous comprenons vaguement que quelque chose se passe. Peut-être est-ce la délivrance. Personne cependant n’ose y croire. Et puis avec ces S.S. capables de tout, quel sera notre sort ? Ils ne s’embarrasseraient pas pour si peu d’incendier le camp ou de tirer sur les blocks qui sont tous encore occupés. On entend des coups de feu, ce qui laisse à penser que la bataille est proche, et c’est peut-être une offensive. Nous nous groupons alors par sizaines, des sizaines super clandestines qui se sont installées à l’intérieur du camp parmi les résistants, absolument surs.(3) Nous sommes prêts à toute éventualité. La fusillade se rapproche, on la croirait dans le camp.(4)

Tout à coup, le drapeau blanc est érigé par l’un des nôtres, sur la Tour (porte principale). C’est le signal. Nous nous précipitons. Notre attention, cependant, est retenue un instant par un spectacle inattendu, incroyable pour nous, pauvres prisonniers : un S.S. les deux bras au ciel encadré par deux détenus. On comprend bien que l’ordre des choses est renversé, mais on n’en revient pas !

Les ordres sont donnés. Il faut aller aux casernes et s’emparer des armes. Alors, tête baissée, sans songer que les casernes sont peut-être minées, qu’il y a peut-être encore des boches cachés dans les bosquets, nous courrons et prenons tout ce qui nous tombe sous la main : fusils, pistolets, baïonnettes, etc. D’aucun gardent les stocks d’armes, d’autres partent en patrouille. Ils ramèneront plus de deux cents S.S. d’ailleurs.

A ce sujet, je n’oublierai pas de mentionner le sort que nous leur avons réservé. Cela a été pour étonner beaucoup de personnes à qui je l’ai raconté par la suite. Tous les S.S. furent remis aux autorités américaines. A l’unanimité, nous n’avons pas voulu qu’ils subissent ne fut-ce que le centième de ce que nous leur reprochions. Auront-ils compris la grandeur et la charité d’un tel geste ? Pour ma part, je crois fermement que de tels actes ne sont pas toujours vains.

Pendant ce temps, les américains passaient avec leur impressionnant matériel. Paternes, de leurs chars faisaient de la main le V de tradition que Churchill a popularisé. Ils considèrent ces hommes étranges qui, en vêtements rayés comme des zèbres, qui en haillons, ces espèces de mendigots en armes qui leur font de grandes manifestations d’amitié. Certains d’entre nous ont découvert un stock important de jumelles prismatiques. On connaît d’ailleurs la renommée allemande dans la science de l’optique. Nous les lançons aux américains.

Il y a longtemps qu’on n’a pas mangé, mais peu importe, ce soir on n’aura pas faim.

… et lorsque tout à l’heure, couchés sur nos grabas nous essayons en vain de trouver le sommeil, plus d’un d’entre nous pensera qu’un nouveau jour va se lever, différent des autres. Une page d’histoire a été vécue. Il faut la tourner, mais il ne faut pas l’oublier, car trop des nôtres n’auront pas eu la joie de vivre ce jour de délivrance, ils n’auront même pas de sépulture, car leurs cendres mélangées aux cendres du charbon qui alimentait le crématoire aura servi d’engrais pour faire pousser les pommes de terre de l’Allemagne.

(1) Les allemands qui parfois ne manquent pas de goût mais qui étaient dénués de tout à-propos faisaient jouer toutes sortes de disques, qui étaient retransmis au moyen de hauts parleurs dans tous les blocks et les infirmeries où les hommes tombaient commedes mouches.
(2)En effet, Goethe aimait à méditer sous un tilleul qui, par la suite fût inclus dans le camp. Il servit alors de potence (le destin a de ces servilités !). La légende voulait que l'année qui suivrait sa mort vit la défaite de l'allemagne. L'arbre périt en 1944...
(3) Cette organisation s'était faite dans le plus grand secret. En effet si l'on considère un seul fait comme posséder un chapelet ou s'assoir sur un lieu de travail, pouvait entrainer la peine de mort, on conçoit la prudence avec laquelle nous agissions. Quelques rares sizaines étaient armées.
(4) Ce sont en effet nos camarades de l'organisation clandestine qui capturaient leurs premiers prisonniers, avant même que les Américains ne fussent parvenus à hauteur du camp.


Bandeau du journal Le Déporté

Journal de la F.N.D.I.R.P.
N° de Février Mars 1994

Page 7 : Le convoi des " Tatoués "

Le mardi 26 avril 1944, sur l'esplanade du camp de Royallieu, 1 655 hommes étaient rassemblés en vue de l'appel pour leur transport vers l'Allemagne ; le départ eut lieu le lendemain, 27 avril . Après quatre jours de voyage, en fin d'après-midi du 30 avril, le convoi s'arrêta en rase campagne, le long d'un semblant de quai bordé par une interminable ligne de barbelé ; les gardes chassaient les arrivants hors des wagons et les alignaient en colonne par cinq . Après environ un kilomètre de marche forcée , sur un étroit chemin caillouteux compris entre la voie ferrée et l'enceinte , la colonne pénétrait dans un camp .

La main courante du camp d'Auschwitz-Birkenau ( Kalenderium des ereignisse im Konzentrations-Lager Auschwitz-Birkenau ) à la date du 30 avril 1944, signale cette arrivée de 1 655 détenus, décrits comme "des intellectuels , des personnalités politiques , des officiers de haut rang et des membres des mouvements de la Résistance française ". Les détenus furent immatriculés du numéro 184 936 au numéro 186 590 inclus , et furent placés à Birkenau dans les barraques situées à proximité du camp des familles israélites-tchèques.

Le 12 mai , la même main courante note que 1 638 détenus arrivés de Paris le 30 avril sont expédiés à Buchenwald ; ils y parviendront le 14 mai . Une partie de ce convoi , soit environ 700 hommes, restera dans ce dernier camp et sera affectée à ses différents kommando ; les autres membres du convoi , soit environ 900 hommes, seront acheminés le 25 mai vers le camp de Flossenbürg où ils seront répartis dans des kommandos.

Des 1 655 hommes partis en avril 1944 et immatriculés à Birkenau , moins de 500 retrouveront leur foyer au printemps de 1945.